Paris, le 14 avril 2015
Les prestataires de services vont devoir adapter leurs stratégies commerciales à la nouvelle dynamique du marché.
Par Julien Escribe, Partner, expert en management des systèmes d’information, ISG Consulting
Le marché mondial de l'outsourcing se caractérise actuellement par une concurrence accrue et une pression forte - à la baisse - sur les prix. Les « mégadeals », ces importants contrats pluri-annuels, autrefois monnaie courante, font désormais figure d'exception. Les entreprises clientes opèrent une sélection parmi un plus grand nombre de prestataires de services. Les champs d'application deviennent limités et, à long terme, la taille des contrats a tendance à se réduire. Un prestataire de services qui remporte un contrat fait souvent partie d'un environnement dans lequel se trouvent déjà d’autres partenaires à prendre en compte, pour ne pas risquer de perdre sa position sur le marché.
Cette évolution présente à la fois des défis et des opportunités, aussi bien pour les acheteurs que pour les prestataires. Les clients disposent d'un éventail de choix plus large et peuvent bénéficier de compétences spécialisées, mais ils risquent aussi de faire le mauvais choix ou de passer à côté d’une opportunité de business en plein essor. Les prestataires de services, quant à eux, ont accès à de nouvelles opportunités commerciales, mais ils doivent veiller à ne pas s'éparpiller en cherchant à acquérir de trop nombreux contrats. Ils ont l’obligation d’articuler plus clairement leur proposition de valeur pour se différencier de leurs concurrents, dans un environnement de plus en plus dense.
Voici une analyse des principales tendances du marché de l'outsourcing et leur impact sur les stratégies commerciales des prestataires de services.
Tendances du marché
Les études menée par ISG révèle une augmentation sur le long terme du nombre de contrats et une diminution de la valeur unitaire de ces contrats. C’est une tendance qui reflète les bouleversements auxquels le marché de l'outsourcing est confronté. Cette tendance se caractérise par un recul général du nombre de contrats importants, d’une valeur annuelle d’au moins 100 millions de dollars. En outre, les entreprises transforment volontiers les contrats à long terme passés avec un fournisseur unique en contrats à court terme auprès de plusieurs prestataires.
La hausse du nombre de contrats de plus petite valeur sur des durées plus courtes reflète également la maturité du marché et la croissance du modèle de multi-sourcing. Les clients se sentant de plus en plus à l'aise pour gérer de multiples partenariats avec différents fournisseurs, chacun étant considéré comme leader dans son domaine. Le multi-sourcing peut s’avérer très avantageux à plusieurs égards, mais il présente aussi des difficultés. Par exemple, comment garantir la bonne collaboration avec une équipe composée de prestataires de services disparates ? Les prestataires réputés pour savoir bien coopérer au sein d’un ensemble de partenaires – et potentiellement concurrents ! – bénéficient souvent d'un avantage concurrentiel considérable.
La nature de la demande de services d’outsourcing évolue également. Alors que les entreprises s'orientent vers un mode de croissance post-récession, elles envisagent de plus en plus le sourcing comme un moyen d’acquérir un avantage stratégique plus que pour réaliser des économies rapidement.
Autre changement de taille : le nouveau critère de réussite des prestataires de services se mesure davantage sur les marges bénéficiaires que sur les recettes. Cette tendance reflète une plus grande maturité du marché, c’est le fruit d’une collaboration plus étroite entre les clients et les fournisseurs, marquée par l'acceptation croissante de prestation de services standard et de solutions d'automatisation évoluées. Les fournisseurs qui accueillent favorablement ces changements et qui s’efforcent avec leurs clients de réduire continuellement les coûts d'exploitation en sortiront vainqueurs.
Conditions de réussite
Comment ces bouleversements affectent-ils la façon dont les prestataires de services développent et mettent en œuvre leurs stratégies commerciales ?
Tout d'abord, pour les prestataires de service, il est plus important de pas définir comme seule priorités la rechercher des nouveaux contrats. Étant donné le nombre croissant d'opportunités à saisir, les prestataires courent le risque de s’éparpiller en poursuivant de trop nombreuses opportunités. Les plus performants savent ce qui les différencie et se concentrent sur les opportunités qui correspondent le mieux à leur domaine de compétences, là où ils sauront réellement satisfaire les besoins spécifiques de leur client. Cela passe donc par un processus de qualification commercial plus draconien, plus rapide, plus transverse, plus performant.
Pour asseoir sa crédibilité et démontrer ses compétences, il est nécessaire également d’impliquer des experts spécialisés sur le sujet et des spécialistes des différents domaines de la prestation de services dès le début du processus de vente. Naturellement, la difficulté réside dans le fait que la « A Team » (les meilleurs des meilleurs) est la plus sollicitée et que sa marge de manœuvre est inévitablement restreinte. Ce constat amène souvent les prestataires à dispenser les experts et prestataires de services spécialisés de participer aux premières discussions, à les réserver pour plus tard, à la fin du processus de vente pour conclure la transaction. Malheureusement, il est souvent trop tard : les commerciaux de la « B Team » n'ayant pas réussi à identifier les problèmes des clients ou à asseoir leur crédibilité.
Les stratégies commerciales efficaces sont celles qui maximisent la participation des experts tout au long du cycle de vente. Les prestataires qui s’appuient sur des processus de prospection et d'élaboration de propositions clairement définis peuvent mieux tirer parti de leurs connaissances et valoriser leurs compétences.
Le facteur SMAC
Récemment encore, les prestataires de services généralistes considéraient avec crainte et déni les acteurs émergents dans le secteur des Nouvelles Technologies. Ils redoutaient que les technologies « de rupture », les SMAC (Social, Mobile, Analytics, Cloud), détruisent les modèles économiques existants et leurs sources de revenus traditionnelles et ils doutaient que ces forces parviennent un jour à s’imposer.
Aujourd'hui, le marché de l'outsourcing reconnaît, volontiers ou à contrecœur, que non seulement l'expertise des technologies de rupture s’est généralisé, mais qu'elle s’impose rapidement comme une condition préalable pour affronter la concurrence. Les prestataires vantent leurs compétences en matière de SMAC en même temps qu’ils automatisent leur activité et qu’ils assurent aux analystes que les modèles économiques basés sur l'arbitrage du travail parviendront à s'adapter à l'ère des machines intelligentes.
L'intégration croissante des SMAC dans les modèles de services va dans le sens de la spécialisation des prestataires et renforce l'attrait des clients pour des solutions innovantes et de niche. D'un point de vue concurrentiel, les prestataires doivent encore plus articuler leur proposition de valeur et définir leur positionnement sur le marché. Il faut également qu’ils puissent donner des exemples de réussite crédibles, car si les clients sont intéressés par l'innovation, ils sont en revanche réticents à l'idée de servir de cobayes pour des solutions non approuvées.
Différenciation
Dans le contexte actuel, la plus grande difficulté pour les prestataires de services est peut-être de différencier leurs offres et de se démarquer sur un marché concurrentiel.
Pour y parvenir, ils ont tout intérêt à tisser des relations solides avec les entreprises clientes pour comprendre leurs besoins business et parler leur langage. A défaut, les prestataires ont tendance à mettre leurs compétences en avant selon leur propre point de vue, obligeant le client à s'y adapter, ce qui aboutit généralement à un échec relationnel. Collaborer avec l'acheteur permet également au prestataire de mieux comprendre les motifs individuels et organisationnels qui mènent à un projet d'outsourcing. En prenant ces détails en considération, le fournisseur multiplie les chances de convaincre et de fidéliser l'acheteur.
De bonnes relations favorisent également l’efficacité de la communication, essentielle à la différenciation. En tant que société de conseil, ISG rencontre souvent des prestataires de services qui abordent les opportunités de ventes selon une approche générique et qui abreuvent un client potentiel de quantités d'informations brutes dont il devra lui-même extraire les données pertinentes, utiles dans son cas particulier. Pour convaincre un client que l’on peut résoudre son problème, il faut être concis, clair et attirer son attention en répondant à ses propres besoins spécifiques et en lui apportant la preuve que le travail a bien été effectué.
Les prestataires de services qui réfléchissent à leur stratégie de différenciation doivent aussi chercher à comprendre comment ils sont perçus sur le marché et influencer cette image pour la tourner à leur avantage. Une réputation peut, ou non, être méritée et refléter, ou pas, la réalité. Quoi qu'il en soit, les clients se font leur propre opinion et sont influencés par la réputation bien établie des différents acteurs, même si une bonne ou mauvaise réputation n’est jamais définitive. Les meilleurs prestataires de services savent gérer leur réputation de manière proactive. Ils mettent en valeur les aspects positifs et tentent de corriger les idées fausses ou les perceptions négatives, plutôt que de faire comme si elles n'existaient pas.
L’évolution du marché actuel de l'outsourcing va se poursuivre, caractérisée par une très forte concurrence et la fragmentation croissante de la chaîne de prestation de services. Face aux nouvelles opportunités qui se dessinent, les prestataires vont devoir identifier celles qui sauront le mieux saisir ou qui leur conviennent le mieux et mettre en œuvre des stratégies de commercialisation efficaces pour développer ces segments.